Constitution européenne

Fait les 21 et 22 mai 2005, revu le 26 mai 2005

 C omme vous, je suis assailli depuis au moins quatre mois, en ce samedi 21/05/2005, par un feu roulant de propagande sur ce «traité établissant une Constitution pour l'Europe»; propagande pour le “oui” ou le “non”, mais dans la majorité des cas propagande. Je sais ce que je ferai le 29 mai 2005: je dirai à mon gouvernement que je désapprouve. Ce qui ne signifie pas que «je suis partisan du “non”». Cela n'a pas de sens: on ne me demande pas si «je suis pour le “oui”» ou si «je suis pour le “non”» mais si j'approuve, ou n'approuve pas, la loi soumise à référendum. Je ne l'approuve pas. Me demanderait-on mon opinion sur le traité, et bien, «je suis pour le “oui”». Comme ce n'est pas ce que l'on me demande, il en va autrement. Voici exactement, et tel que vous l'avez reçue, la question à laquelle je répondrai:

«Voici le texte de la question à laquelle vous aurez à répondre par “OUI” ou par “NON” :

“Approuvez-vous le projet de loi qui
autorise la ratification du traité établissant
une Constitution pour l’Europe ?”»

Vous voyez: on ne me demande pas de me prononcer sur le traité, mais sur «le projet de loi qui autorise [sa] ratification». Et je me prononce contre cette ratification.


Presque tout le traité en question me convient. Cela ne signifie pas que je le trouve à mon goût, dans chaque partie beaucoup de points me posent problème. Un discours très répandu chez les «partisans» du “non” comme du “oui” est que les parties I et II «ne posent pas (trop) de problèmes». C'est faux: de nombreux points m'y posent problème. Il se trouve que je fais partie de cette minorité qui a lu, relu, re-relu, etc., ce texte. J'ai récupéré au début de l'année 2004 le «projet de traité» tel que rédigé par la “convention”, et m'empressai dès ce moment de le mettre à disposition sur ce site; quand la version révisée par le Conseil européen fut disponible je fis de même; quand ce texte fut en vente chez les diffuseurs de presse, je l'achetai; et plus récemment, dès que la version complète, celle que vous avez reçue par la poste (si vous résidez en France), fut disponible sur Internet, je la repris et la mis en ligne dans mes pages. Vous trouverez ces textes, avec la fameuse «directive Bolkestein», en cliquant sur ce lien. J'ai récupéré ou acheté ou reçu par la poste ce texte, et depuis des mois je me penche dessus.

Si vous et moi étions en vis-à-vis ça pourrait valoir le coup d'en discuter, vous me diriez «ceci» et «cela»; je vous demanderais, ça se trouve où dans le texte, «ceci» et «cela» ? Vous me le diriez, ou ne me le diriez pas. Dans le second cas, je vous dirais, trouvez-moi l'endroit de ce traité où «ceci» et «cela» sont spécifiés; dans le premier, on irait y voir, et je vous dirais probablement: oui mais dans tel article, tel protocole, telle déclaration on trouve un autre «ceci» et un autre «cela» qui viennent en contradiction avec ce que vous m'affirmez (ou qu'affirme le traité). Considérez que cela vaut autant pour les partisans du “non” et du “oui”. Car l'intérêt du texte réside justement dans le fait que la plupart des arguments des tenants des deux positions sont effectivement confirmés par le texte. Dans une autre page de ce site j'en parle: dans ce traité on trouve tout et le contraire de tout. C'est la raison même pour laquelle je désapprouve ce texte: tel qu'il est, il se révèle inapplicable. En soi ce n'est pas un problème, car je ne m'attends pas à ce qu'un texte censé décrire des procédures valables pour une structure jamais vue jusqu'ici soit consistant. L'Histoire nous apprend que ce genre de choses n'arrive jamais, et qu'il faut plusieurs générations pour aboutir à une architecture valide, si ça doit aboutir.

Malgré tout, on peut prévoir certains événements selon le type de «Constitution» dont on disposera. Par exemple, que la longue liste d'exceptions qu'on trouve dans plusieurs des textes annexés à la partie IV poseront assez vite problème, au premier chef le protocole 7, «sur les privilèges et immunités de l'Union européenne», qui donne un quasi-statut d'extra-territorialité aux fonctionnaires, agents et élus de l'UE. Mais ce n'est pas mon sujet, lequel se résume en ceci, un argument que prônent aussi bien les tenants du “non” que ceux du “oui” les plus raisonnables: il faut séparer ce texte en au moins deux textes, l'un pour les parties I et II, si possible dans l'ordre inverse à celui actuel (il semble logique de mettre les «valeurs fondamentales» avant les règles et règlements concernant les institutions), l'autre reprenant au moins la partie III, enfin s'il y a lieu un troisième texte reprenant la partie IV, les protocoles et les annexes.

Bien sûr, il y faudrait des aménagements, notamment, éliminer les références aux articles des parties III et IV et aux annexes et protocoles insérées dans les parties I et II: il est aberrant de subordonner la loi générale, supposée durable et première, à des lois spécifiques, transitoires, circonstancielles et secondes. Puis il serait bon de faire avec le «traité» (partie III sqq.) quelque chose d'équivalent à ce qu'on fit pour le «traité de Nice»: fixer une date où le texte devra être soumis à révision. Par exemple, fixer 2019 ou 2024 comme année où l'on évaluera la pertinence de l'ensemble du texte (car, c'est prévisible, entre sa ratification et la «date butoir» il aura déjà subi quelques modifications).


Je le disais, je compte désapprouver. C'est que, j'ai réfléchi sur le traité, et j'en suis arrivé à cette conclusion: quoi qu'aient pu en penser ses rédacteurs, et ainsi que dit ci-dessus, il ne peut être durable. Actuellement, et c'est ce dont se désolent une majorité des personnes qui s'expriment dessus, qu'elles l'approuvent ou non, il est de fait que la construction politique de l'Europe est encore à faire: les institutions qui régissent l'UE se sont créées indépendamment les unes des autres, pour répondre à des besoins précis dans un contexte précis; ces contextes ont disparu et on se retrouve avec des institutions parfois redondantes, aux compétences mal définies, et souvent il est indécidable de savoir laquelle a la prééminence sur telles et telles questions. Puis, il est étrange et pour tout dire anti-démocratique que les décisions de la Commission européenne, qui n'est pas, comme on le dit souvent, une sorte de gouvernement, mais qui représente au niveau européen l'équivalent des administrations centrales en France, avec certes cet avantage que lesdites administrations coordonnent leur action, il est donc étrange que ces décisions prévalent sur celles du Parlement, et tout aussi étrange que l'administration, c.-à-d. l'exécutif non gouvernemental, ait l'initiative des lois, cela, encore, bien plus que le Parlement. Si l'on veut que la Commission ait un rôle politique, il devient nécessaire qu'elle soit politiquement nommée, et préférentiellement, qu'elle soit l'émanation du Parlement plutôt que celle du Conseil.

Il y a encore bien des points problématiques qui font qu'en l'état le texte proposé, quoi qu'on puisse en penser, ne peut avoir une durée de validité de plus de deux ou trois lustres, mais ça importe peu. Dans l'ensemble, je trouve ce texte assez satisfaisant. Il y a notamment un des protocoles, celui numéroté 33, le «protocole relatif aux actes et traités ayant complété ou modifié le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur l'Union européenne», qui me semble très satisfaisant car il consiste pour l'essentiel à dire que ces actes et traités sont abrogés. Et ma foi, passer de 12 textes souvent longs et touffus, et même confus pour certains, à trois textes assez courts et lisibles, ce n'est pas un mince avantage. Pour résumer ma position: je pense que, quel que soit le résultat du vote du 29 mai 2005 en France et celui des autres référendums à venir, à horizon de 2007 ou 2008 l'UE sera dotée d'un texte constitutionnel; la meilleure hypothèse est que les peuples de France, des Pays-Bas et de Pologne le désapprouvent en l'état; dans cette hypothèse, on aura au final à-peu-près le même texte, mais scindé en deux ensembles, une Constitution (parties I et II) et un traité (parties III sqq.), avec suppression des références au traité dans le texte proprement constitutionnel, et intégration de certains protocoles (dont le 33ème) en tant que «dispositions transitoires» de la Constitution ou du traité; c'est pourquoi je vais dire, lors du référendum à venir, que je désapprouve la loi soumise à mon vote: je ne désapprouve pas substantiellement le texte, mais donc, je le désapprouve en l'état, avec notamment cette idée saugrenue de «constitutionnaliser» un traité.

Enfin il y a le lendemain du vote: le “oui” ou le “non” l'emportent. Quel que soit le cas il faut que tous ceux qui ont voté agissent, non les uns contre les autres mais dans le même sens car, au-delà de leur «intime conviction», ils doivent considérer les conséquences d'un vote très partagé. C'est enfin cela qui me pousse à désapprouver: je sais que nos dirigeants actuels ont l'habitude de dire «nous avons gagné» quand, même avec 50,43% des voix exprimées, un vote va dans le sens qu'ils ont choisi. En un premier temps disons “non” et ensuite, négocions. Par exemple, entendons-nous sur ce point: nous voulons bien de ce traité, même sans le moindre aménagement, sans séparer les deux premières parties des deux dernières. Mais après son adoption, «responsables politiques», prenez vos responsabilités.

O.M.H.


Ce lien amène à quelques textes sur la question, quelques opinions ou analyses, mais en ce qui concerne mon explication de vote, ce qui précède suffit. Par ailleurs, j'ai aussi fait une version imprimable du texte de cette page au format DOC, légèrement différente, accessible par ce lien.

O. M. H.