Président de tous

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[En date du 18/04/2004]

D'abord ceci : je ne suis candidat d'aucun parti, ne défends aucune idéologie et n'ai aucun « projet de société ». Voilà pour ce qui n'est pas ; pour le reste, j'ai des opinions et des idées, mais d'ordre pratique et reposant sur des notions simples et évidentes, qui s'articulent sur quatre mots : conciliation, cohésion, entente et solidarité. Je ne tire donc pas mes idées d'une idéologie figée, mais de mon expérience et de certains constats sur la vie en société.

N'être d'aucun parti et n'avoir pas de projet de société précis est un avantage : après mon élection, je formerai un gouvernement sur la seule base d'un accord de ses membres pour la mise en œuvre d'une politique s'articulant sur les quatre termes indiqués, que j'expliquerai ci-après. La V° République a beaucoup d'inconvénients mais a au moins un avantage : la mise en place de l'exécutif ne dépend pas du bon vouloir du législatif. Son principal inconvénient est la subordination du législatif à l'exécutif, mais nous en reparlerons quand je serai élu… Donc, un avantage : former un gouvernement peut se faire indépendamment des partis ou des idéologies. Je ne demanderai pas aux ministres s'ils sont de gauche, de droite, du centre ou d'ailleurs mais s'ils veulent ou non travailler ensemble dans le même sens. N'avoir aucune idéologie implique qu'on est prêt à accueillir les propositions en fonction de leur pertinence pratique, et non de leur adéquation avec une idée préconçue de « ce qui est bon pour la société ».




Conciliation, cohésion, entente, solidarité : dans la vie ordinaire on pratique couramment cela, sinon la société serait invivable ; je propose que gouvernement et administration en fassent autant, que la vie des « élites » soit en cohérence avec celle la plus courante. D'où une de mes rares propositions : une fois élu j'édicterai une ordonnance établissant que les émoluments d'un élu, président compris, et d'un membre du gouvernement ne dépassent jamais le double du revenu moyen par habitant. Car je trouve anormal que ceux qui ont en charge de représenter la nation aient un revenu huit, dix, douze fois supérieur au revenu moyen des électeurs.

La conciliation, on la pratique chaque jour avec sa famille, ses voisins, ses collègues de travail, ses clients et ses fournisseurs, avec les commerçants, les fonctionnaires, bref, toutes les personnes qu'on côtoie. Vivre en société, c'est faire en permanence des compromis. Au niveau du gouvernement, il doit en aller de même. Les sept dernières décennies nous montrèrent une chose qui devrait paraître évidente à tous : la réussite ou l'échec d'une politique ne dépend pas de l'idéologie qui l'anime mais des circonstances. Qu'on ait une majorité « de droite » ou « de gauche », si les circonstances sont favorables, la politique « réussit », sinon elle « échoue ». Je ne peux dire avec assez de certitude que ceci : quand les circonstances sont défavorables, appliquer une politique trop idéologiquement marquée tend à aggraver les choses. Et j'en tire cette conclusion : si les choses ne vont pas trop bien, plutôt que de s'enfermer dans le dogmatisme il faut pratiquer la conciliation et se mettre à l'écoute des propositions alternatives.

Ce qui m'amène à l'entente. Un gouvernement, une haute administration ne doivent pas tout régenter, leur fonction est la régulation : se contenter de vérifier que les choses se passent bien, et si nécessaire seulement intervenir pour corriger les dysfonctionnements. Ou plus exactement, les arbitrer. C'est entre les citoyens que les choses doivent se faire. La France d'aujourd'hui croule sous les lois, règles, règlements, arrêtés et autres textes qui régissent tout, rien et souvent n'importe quoi. Et en outre sont souvent inappliqués car souvent inapplicables. Il me semble qu'une tâche importante du gouvernement que je présiderai doit être une révision complète et une simplification du corps de lois qui nous régissent, pour notamment éliminer celles qui ne font que redire pour un cas particulier ce que dit une autre loi sur un cas général. Nul n'est censé ignorer la loi, mais quand une Assemblée en produit de deux cent à quatre cent par an, on comprendra que nul n'est en état de s'y retrouver… Selon moi, les particuliers doivent déterminer entre eux et par contrat ce qui leur convient. Bien sûr, cette orientation doit s'accompagner d'un renforcement de l'appareil judiciaire, mais dans un but de conciliation : il me semble préférable de recréer une institution comme celle des juges de paix, dont le rôle principal était – et donc, sera – d'aider les parties à trouver un terrain d'entente en cas de litige, que de multiplier les postes de l'appareil répressif, policier et judiciaire.

La cohésion est nécessaire au bon fonctionnement de la société. Si j'entreprends quelque chose avec d'autres, je m'attache à voir ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous divise. Il n'y a pas une manière « de gauche », « de droite » ou « du centre » de faire un travail, il y en a une bonne ou une mauvaise. La bonne manière est de se concerter pour définir qui fera quoi et comment dans le processus. Si je dois monter un réfrigérateur jusqu'à mon quatrième étage, je ne demanderai pas à la personne qui m'aide pour qui elle a voté aux dernières cantonales, mais si elle veut tirer ou pousser. La cohésion, c'est ça. J'ai bien souvent fait des choses avec des personnes qui avaient des options politiques en fort désaccord avec les miennes, et avec lesquelles je m'entendais parfaitement, et au contraire j'en fis avec des personnes politiquement proches de mes convictions en travaillant très mal avec elles. La politique, entendue dans le sens de politique partisane, a eu son utilité dans la longue période où les nations européennes cherchèrent à élaborer des sociétés réellement démocratiques, mais cette période est désormais derrière nous, il n'y a qu'une infime minorité des Français qui remet en cause les acquis de cette période. Actuellement, les partis ont une base idéologique commune à plus de 90%, il me paraît donc intéressant de laisser un peu de côté les 10% restants, et de travailler sur ce qui rapproche plutôt que sur ce qui oppose. D'aller vers la cohésion plutôt que la division.

Enfin, la solidarité devrait aller de soi. Là encore, pas de « grandes idées », mais un constat simple : si ma voisine frappe chez moi pour me demander de lui donner un peu de sel, je le lui donne ; si un gars tombe devant moi dans la rue, je l'aide à se relever ; si un automobiliste a du mal à démarrer son véhicule, je le pousse ; et j'attends qu'on me rende la pareille. La solidarité commence là, avec les relations de bon voisinage et les petits secours. Je ne suis pas favorable à la forme de solidarité « du fort au faible » qui est plutôt de la charité. Plus exactement, je ne suis pas favorable à cette tendance de nos sociétés à créer des instruments dits « de solidarité » qui ne sont que des moyens de permettre la survie à des populations en situation précaire, sans leur donner les moyens d'une vie sociale enrichissante. La solidarité réelle implique la réciprocité : je te donne, et en retour tu me donnes, ou tu donnes à un autre. Cela ne signifie pas que je sois contre toute solidarité du fort au faible, il me semble évident que lorsqu'on offrira aide et réconfort à un malade chronique on ne lui demandera pas de réciprocité. Je parle de ces populations qui, par le fait d'une structure sociale déficiente, se voient exclues d'une sociabilité normale alors qu'elles ont les moyens d'être utiles à la société. Cela dit, je ne suis pas partisan du travail forcé, simplement, il me semble qu'il y a quelque chose à concevoir pour résoudre ce problème connu : il existe de nombreuses tâches dont on sait qu'elles devraient être exécutées, par exemple l'aide ménagère pour les personnes âgées ou déficientes, et dont on sait qu'elles ne le sont pas suffisamment ; et il existe une population désœuvrée non parce qu'elle le veut, mais parce que la société ne fait rien de sérieux pour l'aider à trouver du travail, voire l'en empêche. Il me semble que ces deux problèmes devraient se rencontrer pour devenir une solution.




Je n'ai pas d'idéologie, mais j'ai des opinions, notamment sur les idéologies. Dont celle-ci, définitive : elles ont fait leur temps. Au cours de la décennie 1990, sur le mode de la déploration ou de la satisfaction les intellectuels, éditorialistes et politiciens parlaient de la « mort des idéologies » ; ils voulaient en fait indiquer que seule demeurait admissible l'idéologie qui avait « triomphé », celle libérale. C'était enterrer un peu vite les idéologies concurrentes et présumer un peu trop qu'une situation circonstancielle devait devenir une situation définitive. Il paraît que la nature a horreur du vide, ce dont je ne suis pas persuadé, par contre, je suis certain que la société a horreur de l'unicité : en 1991, le libéralisme était promis à un règne sans partage « pour les siècles des siècles » et un de ses prophètes annonçait «la fin de l'Histoire», manière poétique de signifier que désormais les sociétés avaient une forme parfaite et destinée à ne plus évoluer dans les temps à venir. En 2001, on pouvait constater que la mondialisation libérale donnait de sérieux signes d'essoufflement, qu'en revanche le socialisme réformiste, promis à la disparition, s'offrait une nouvelle jeunesse, et qu'au moins deux idéologies étaient nées, l'altermondialisme et l'islamisme radical. Quoique l'altermondialisme ne soit pas strictement une idéologie, ça me paraît plutôt le germe d'une forme nouvelle d'organisation politique, celle du travail commun indépendant des options politiques des participants.

Je ne souhaite pas faire de la France le porte-drapeau de l'altermondialisme, en fait, je l'ai dit, je ne souhaite rien de particulier, n'ai aucun projet de société prédéfini, pas idée de ce que doit et comment doit être la société, sauf pour mes quatre points, je dis juste qu'on peut s'inspirer de certaines choses qui se sont élaborées dans ce qu'on nomme « altermondialisme », qui recouvre une réalité multiple, et notamment ceci : parmi les groupes qui participent de ce mouvement, certains peuvent être qualifiés « à droite » ou au moins conservateurs, d'autres « à gauche » ou progressistes, d'autres encore ne sont pas situables ; il y a des groupes proprement politiques, des associations, des syndicats, des groupes circonstanciels, et dans une configuration classique, partisane, tous ces gens-là s'opposeraient ; ici, ils laissent de côté ce qui les sépare, pour travailler ensemble à ce qui les unit.




L'article 5 de la Constitution définit ainsi la fonction à laquelle je postule : «Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités». On le voit, elle ne fait pas du président un chef de parti ni un idéologue, mais un arbitre et un régulateur. Ce à quoi je prétends. Je crois la société assez large et accueillante pour que le libéral vive son libéralisme, le socialiste son socialisme, et que celui qui n'a pas d'avis tranché puisse en rester là. Je pense donc que les idéologies ont fait leur temps. Ça ne signifie pas que je les considère invalides, il y a du bon dans le socialisme, le libéralisme, la démocratie chrétienne, le radicalisme, etc. Les seules idéologies dont on ne tirera rien sont celles excluantes, extrémistes, pour le reste, même si je doute de la pertinence de telle ou telle, elles ont en commun, au moins en discours, de prétendre contribuer à la solidarité, la cohésion, l'entente, la conciliation. En discours encore, elles diffèrent pour ce qui concerne la manière d'arriver à cela, dans les faits, quelle que soit son idéologie un gouvernement les met en œuvre toujours à peu près de la même manière, et c'est logique.

Prenons le cas d'une majorité de gauche : elle doit rechercher la conciliation avec la partie de la population qui si elle n'est pas de droite, au moins n'est pas de gauche ; de même, pour une majorité de droite son interlocuteur sera la partie de la population qui n'est pas de droite ; conclusion, dans un cas comme dans l'autre ceux qui ont une certaine idéologie négocient avec ceux qui ne la partagent pas. Les groupes en présence étant à quelque chose près répartis assez également entre droite, gauche et personnes qui ne se situent pas dans cette division binaire, que ce soit en adhésion ou en opposition. Quelle que soit « la majorité » la conciliation se déroule à peu près de la même manière, et le plus souvent avec des résultats à peu près semblables.

L'expérience de la mandature actuelle illustre bien le fait : elle obtint « une majorité écrasante » en 2002, mais ce fut un effet d'optique, il suffit que la gauche perde deux points de suffrage, que la droite en gagne deux, et par le jeu du scrutin uninominal les candidats de droite devancèrent légèrement leurs opposants. Reste qu'environ 25% des électeurs votèrent pour la gauche, environ 50% ne votèrent pas pour la droite, autrement dit « la majorité » avait contre elle 70% à 75% des Français. Ce qui explique son incapacité à mener une politique cohérente : forte de ses 309 députés, l'UMP crut disposer d'une large majorité, puisque formant 60% de l'Assemblée ; mais elle ne rassembla, et au second tour, les suffrages que de 47% des exprimés (dont une partie vota plus contre la gauche que pour la droite) et de 27% des inscrits. De fait elle était très minoritaire. Or, sa pratique durant les deux premières années de la mandature fut celle d'une majorité réelle pouvant s'appuyer sur le consentement d'une large partie de la population. N'étant pas de cette « majorité », je ne peux qu'imaginer, et j'imagine que gouvernement et majorité parlementaire ne comprenaient pas que rassemblant « une majorité du pays » ils se confrontaient à une telle résistance à leur politique. Les élections de 2004 vinrent leur rappeler la grande relativité de leur majorité…

Mais une « majorité de gauche » se heurterait au même problème : depuis 1988, toute majorité parlementaire a recueilli le suffrage de moins de 35% des inscrits, ce qui explique assez pourquoi elles ont bien du mal à appliquer une politique cohérente et pourquoi, lors du scrutin suivant elles se font le plus souvent remercier. Je dis ceci : il faut tenir compte que, depuis au moins deux décennies, une « majorité » à base idéologique ne peut s'appuyer que sur 20% à 25% du corps social, se confronte à l'opposition de 35% à 40% de ce corps social, et n'obtient pas ou que peu le soutien des 35% à 45% restant.

Les militants de gauche ou de droite font je crois une erreur d'évaluation et imaginent que leurs politiques échouent parce que « l'opposition », c'est-à-dire les partisans de l'autre bord, fait tout pour l'entraver. Le vrai problème est cette majorité qui ne se reconnaît dans aucun camp : depuis 1988, abstentionnistes et électeurs des partis anti-institutionnels (extrêmes gauche et droite) forment 50% à 65% des électeurs potentiels. Le discours des « partis de gouvernement » est qu'il faut « faire retrouver le chemin des urnes aux abstentionnistes », manière indirecte de dire : motiver les électeurs à voter « pour nous ». Or, d'élection en élection de plus en plus d'inscrits perdent ce chemin. Au contraire de ce qu'ils prônent, la logique commande donc qu'au lieu de vouloir appliquer un programme attirant au mieux 25% des électeurs, ce soient les militants politiques qui fassent le chemin vers ce plus de 50% des membres de la société qui veulent autre chose – autre chose que le programme du PS ou de l'UMP.

Je ne sais pas plus que les militants des partis classiques ce que veut cette majorité. Sans doute des choses diverses et parfois contradictoires. Par contre, j'ai une idée sur la manière d'arriver à le savoir, et en tout cas, d'arriver à disposer d'une Assemblée nationale réellement représentative. Ou plutôt, une Assemblée constituante. Ce n'est pas une idée simple, mais on ne résout pas des situations complexes avec des idées simples. Cela s'approche de ce qui fut fait pour la Constituante de 1790. Ce n'est pas un projet pour l'immédiat, je le mettrais en œuvre dans le courant de la deuxième année après mon élection. Le principe est simple, mais la préparation et la réalisation le seront moins. Il s'agit de désigner nos représentants par degrés. Au premier stade, l'ensemble de la population majeure et en état de voter, environ 40 millions de personnes, on organise des comités de 50 personnes, qui élaborent un « cahier de doléance », puis désignent l'un des leurs qui les représentera au deuxième degré, comptant 800.000 représentants organisés à leur niveau en groupes de 50 personnes. Ils confronteront leurs cahiers pour en retenir les propositions les plus consensuelles ou intéressantes, puis feront un cahier récapitulatif ; chaque mandant reviendra à son comité de base, discutera de ce cahier, le validera ou le corrigera selon ce qu'en jugera son comité ; la dernière phase pour ce niveau sera de confronter une seconde fois les propositions, de rédiger un cahier définitif, puis de désigner l'un des leurs pour le troisième niveau – qui comptera donc 16.000 représentants. Ici, chaque comité aura 30 membres, mais pourra travailler avec d'autres comités. Le processus sera le même qu'au niveau précédent : récapitulatif, compte-rendu, cahier définitif, désignation d'un représentant. Ce niveau sera le dernier et formera l'Assemblée ; il comptera de 530 à 550 membres. Charge à cette Assemblée de concevoir une Constitution s'appuyant, non sur les a priori idéologiques de ses membres, mais sur les desiderata de leurs mandants, recensés par les quelques 550 cahiers définitifs.




Voilà mon programme : dans l'immédiat, former un gouvernement de bonne volonté et ramener les émoluments des élus à plus justes proportions ; La première année, préparer mon projet de Constituante mais aussi me concerter avec les acteurs sociaux pour tenter de trouver des solutions consensuelles aux problèmes les plus importants à résoudre selon eux ; au bout de deux an, convoquer une Assemblée constituante dans la forme décrite. Ensuite, je me démettrai de mon mandat, puisque les nouvelles institutions le rendront invalide. Et surtout parce que j'ai bien d'autres choses à faire que ça, et plus intéressantes, président de la République ce n'est pas un métier pour moi, du moins pas pour trop longtemps.

O.M.H.